Toute la famille: Anoek, Sam et ses deux enfants.

Anoek : « Sam voulait juste rentrez chez lui, auprès de sa famille »

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En septembre 2022, un homme rwandais a été détenu pendant près de quatre semaines dans le centre de détention Caricole à Steenokkerzeel. Cela a marqué le début d’un véritable calvaire, car après son expulsion, il a été arrêté au Rwanda. Sa femme belge raconte : « Mes jeunes enfants et moi avons perdu leur père et mon mari à cause de l’administration kafkaïenne de Zaventem. C’est une histoire totalement injuste. »

Sam, Rwandais, qui vit en Tanzanie avec sa femme belge, est un danseur professionnel. Depuis des années, il voyage à travers le monde pour des spectacles. Durant l’été 2022, il se rend en Europe avec sa troupe de danse rwandaise, à l’invitation de La Villette à Paris, pour le festival de danse Generation A.  

Après une série de représentations à guichets fermés en France, Sam se rend en Belgique. Il séjourne notamment chez sa belle-famille belge. Mais lorsque qu’il reçoit une invitation pour une performance supplémentaire en Roumanie – devant le Parlement roumain – le destin s’acharne. Lors de son retour en Belgique, il est intercepté à l’aéroport de Zaventem. 

Étrangement, un visa antérieur dans son passeport, avec une extension administrative de sept jours, est soudainement jugé suspect. Sam est interrogé par plusieurs agents sans explication claire, accusé de fraude et transféré au centre de détention Caricole, près de l’aéroport. 

« Sam avait déjà réservé un vol retour, mais il n’a même pas été autorisé à le prendre. »

« Mon mari est un survivant du génocide rwandais », explique Anoek, mariée à Sam depuis sept ans. « Une grande partie de sa famille a été massacrée lorsqu’il avait six ans. Il a passé de longs mois dans un camp de réfugiés au Congo. Ensuite, il a vécu dans des conditions difficiles à Kigali, à la recherche de sa famille. » 

« Une personne lamba ne craint pas la police belge, mais pour lui, c’était très difficile d’être interrogé par plusieurs agents, qui l’ont fait attendre longtemps et ont confisqué son passeport. Il faut aussi savoir que Sam n’est pas très loquace. Après le génocide, il n’a pas parlé pendant environ sept ans. Il ne m’a pas beaucoup raconté à propos de l’interrogatoire, mais il m’a dit : « J’aurais pu mourir ce jour-là. » » 

Sam comprend quatre langues – le français, l’anglais, le kinyarwanda et le swahili – mais à l’aéroport, il est forcé de signer une déclaration en néerlandais. « Il ne comprenait pas un mot, mais selon lui, il n’avait pas le choix. » 

Étant donné que Sam pouvait présenter un nouveau passeport biométrique datant de 2021 et qu’il avait déjà un billet retour pour la Tanzanie, il pensait qu’il s’agissait d’un malentendu. « Mais il n’a pas été autorisé à prendre son vol retour pour la Tanzanie et est resté détenu. Pourtant, il n’avait absolument pas l’intention de rester en Belgique ! Il voulait juste rentrer chez lui, auprès de sa famille. Nous étions en pleine procédure d’adoption de notre deuxième enfant. » 

Sam est finalement resté près de quatre semaines en détention à Steenokkerzeel. « Il ne m’a pas beaucoup parlé de son séjour à Caricole, sauf qu’il partageait une chambre avec plusieurs hommes et que la lumière restait allumée la nuit. En tant que danseur, il était habitué aux ovations, mais là, il s’est soudain senti traité comme un criminel. » 

« Au Rwanda, Sam a été placé en isolement, dans des conditions inhumaines. »

La Belgique voulait initialement renvoyer Sam en Roumanie, mais son avocat a obtenu un retour volontaire. « À condition que la page de son passeport, où figurait le visa de 2021, soit retirée », raconte Anoek, qui a beaucoup peiné à organiser ce retour. « Nous pensions que le calvaire était terminé, mais ce n’était que le début. » 

« Lors de son départ de Zaventem, la police a remis le passeport de Sam directement au steward de la compagnie aérienne. Lors de l’escale au Rwanda, celui-ci l’a remis à la police rwandaise. Il y avait des tampons indiquant que le passeport était faux. Mais surtout, la page avec le prétendu faux visa avait été découpée puis recollée avec une copie parfaite de l’original. » 

« J’avais insisté, avant sa déportation, de prendre toutes les précautions possibles afin d’éviter des problèmes. Une lettre officielle avec une déclaration en anglais avait été promise, mais elle n’a jamais été fournie. À Kigali, Sam a été arrêté par la police des frontières et a disparu. » 

Après des recherche, menées depuis la Tanzanie, Anoek apprend que son mari est emprisonné dans une prison rwandaise pour terroristes. « Il a été placé en isolement, dans des conditions inhumaines. Il était impossible d’établir un contact. » 

Grâce à l’aide du consul belge à Kigali, Sam est libéré après environ trois semaines, mais il doit se présenter chaque dernier vendredi du mois devant la justice. « Sans passeport, il ne pouvait pas quitter le pays, alors nous avons loué une petite chambre pour lui dans un quartier populaire de Kigali. Sam était dans un état mental et physique très dégradé. Il souffrait de migraines, de vertiges et de diverses infections – toutes dues au stress. Nous avons perdu beaucoup d’argent pendant cette période, mais le pire a été l’impact sur notre vie, surtout celle des enfants. » 

« Ce qui est arrivé à Sam est incroyablement injuste. »

La famille a vécu séparée tout ce temps. Leur enfant aîné – âgé de quatre ans à l’époque – a dû se passer de son père. Leur deuxième enfant est tombé gravement malade pendant le processus d’adoption. « Pour moi aussi, c’était une question de survie », confie Anoek. « J’ai un travail exigeant comme architecte, et le soir et la nuit, j’essayais de contacter des organisations, des personnes, des institutions… En même temps, je devais consoler deux enfants malheureux sans leur papa. Je n’avais plus une seconde pour moi. Mes cheveux tombaient, je prenais du poids, c’était très difficile. » 

En juin 2023, dix mois après l’arrestation à Zaventem, la famille a enfin pu rendre visite à Sam au Rwanda. « Mais il n’allait vraiment pas bien. Et après dix jours, nous avons dû rentrer en Tanzanie sans lui. » 

Grâce à un contact avec son ancien employeur, Sam a obtenu un emploi dans une ONG au Rwanda, où il avait travaillé dix ans auparavant. Il donne désormais des cours de danse à des enfants défavorisés. Un retour en Tanzanie est difficile, car selon la loi tanzanienne, un homme ne peut pas être dépendant de sa femme, et Sam n’a plus de travail là-bas. « Cette affaire a donc brisé toute notre famille », conclut Anoek. 

« Je ne sais pas comment Sam va surmonter cela. Je pense qu’on y arrivera, mais ça prendra beaucoup de temps. Nous ne pourrons jamais oublier ce qui s’est passé. C’est quelque chose d’incroyablement injuste. Mais nous essayons de surmonter le passé. L’espoir de justice est le feu qui nous donne la force. »

Tout être humain a un droit fondamental à la liberté. La coalition Move a été créée en janvier 2021 à l’initiative conjointe de Caritas, du CIRÉ, de JRS Belgique et de Vluchtelingenwerk Vlaanderen. Les membres de Move unissent leurs forces pour mettre fin à la détention de personnes pour raisons migratoires. Nous préférons parler de « centre de détention (administrative) pour personnes migrantes » plutôt que de « centre fermé », pour éviter la confusion avec les centres d’accueil ouverts pour demandeur·euses de protection internationale. Par ce choix terminologique, l’attention est mise sur la réalité de la détention. De plus, nous entendons inclure toutes autres formes de détention pour raisons migratoires, comme les maisons de retour, que nous appelons « centres de détention (administrative) pour familles migrantes ». Move relate les histoires des personnes exilées en détention, pour leur rendre un visage et leur humanité.