Piet Heyvaert est avocat en droit des étrangers. Il lui arrive de traiter des dossiers de personnes migrantes qui ont été détenues, mais en moins grand nombre qu’il ne le souhaiterait, “car ces dossiers sont extrêmement complexes et exigeants.”
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Au cours de sa carrière d’avocat, Piet Heyvaert a visité le centre de détention administrative pour migrants de Merksplas, ainsi que les deux centres de Steenokkerzeel : Caricole et 127bis. “La détention administrative est un aspect de la loi sur l’immigration qui est peu connu”, explique Piet Heyvaert.
“Beaucoup de choses se passent à l’abri des regards. Nous n’avons qu’un accès partiel aux dossiers de nos clients et un accès total au greffe lorsque nous introduisons un recours auprès de la Cour.”
“D’un point de vue juridique, il est intéressant d’approfondir ces dossiers. Mais c’est aussi extrêmement exigeant. Ce sont des dossiers où l’on attend des réponses rapides, avec des délais très courts et des rebondissements inattendus. Par ailleurs, d’un point de vue pratique, il n’est pas toujours évident de rendre visite aux personnes placées dans les centres de détention.”
Ce sont des dossiers où l’on attend des réponses rapides, avec des délais très courts
Maître Heyvaert raconte l’histoire d’un homme ouïghour en détention. Celui-ci venait de déposer une deuxième demande de protection internationale, avec de nombreux éléments nouveaux. Malgré cela, M. Heyvaert a appris in extremis que son client allait être expulsé par avion le lendemain. L’avocat a dû abandonner tout son travail pour rassembler les informations nécessaires. Tard dans la nuit, il a rédigé une requête en extrême urgence en vue d’annuler/suspendre la décision d’expulsion, compte tenu de la procédure d’asile en cours.
“En résumé : de nombreuses erreurs ont été commises dans ce dossier. Après avoir été menacé d’expulsion vers le Maroc, et puis soudainement vers la Turquie, j’ai saisi la Cour européenne de Strasbourg. On a joué avec les pieds de cet homme. Contrairement aux avocats, qui disposent d’un temps très limité pour agir, le gouvernement prend tout le temps qu’il faut pour rencontrer les migrants, réfléchir à leur situation, et les maintenir enfermés sans information sur leur dossier.”
“On prend souvent des décisions discutables concernant la détention des personnes”, estime M. Heyvaert. “Ceci est la conséquence d’un manque de contrôle approfondi. C’est pourquoi le rôle de l’avocat dans ce contrôle est si important. Paradoxalement, cela est d’autant plus difficile que la matière est assez technique.”
Ce que nous ne savons pas, nous ne pouvons pas le vérifier
Il cite un autre cas, celui d’une mineure syrienne qui “avait été arrêtée à Zaventem par la police des frontières. Elle venait de Grèce. Dès son arrivée en Belgique, la police a tenté à deux reprises de la refouler vers la Grèce. Il s’agissait d’une mineure qui voulait introduire une demande de protection internationale en Belgique. Or, les mineurs ne peuvent pas être détenus et ont immédiatement droit à un tuteur.”
“En réalité, nous n’en savions rien. Nous avons dû apprendre par téléphone – par l’intermédiaire d’un membre de la famille – ce qui s’était passé. Ce n’est que deux jours après sa détention que la jeune fille s’est vu attribuer un tuteur. Si aucun avocat n’était intervenu, elle aurait sans doute été placée à tort sur un vol de retour.”
Pour M. Heyvaert, cette affaire est un exemple de la “boîte noire de Zaventem”. “Selon l’Office des étrangers, la jeune fille n’avait pas déclaré qu’elle était mineure, et n’avait pas non plus exprimé sa volonté de demander l’asile. Il est impossible de le vérifier. Qu’a noté la police des frontières dans son rapport ? La question est de savoir combien d’autres cas similaires existent, et sont méconnus. Ce que nous ne savons pas, nous ne pouvons pas le vérifier.”
A ce jour, trop peu d’avocats pratiquent cette matière
En conclusion, maître Heyvaert déclare : “Il est regrettable que la loi soit façonnée de telle manière à ce que de nombreux dossiers de détention deviennent des missions presque impossibles pour les avocats. Il faut s’armer de patience et avoir une peau de crocodile. A ce jour, trop peu d’avocats pratiquent cette matière.”
“Je ne la pratique pas assez moi-même, en raison de la nature exigeante et chronophage de ces dossiers. Or, il s’agit d’une question très importante. Car il ne faut pas se faire d’illusions : on a beau appeler cela de la “détention administrative”, pour les personnes incarcérées, c’est aussi dur et privatif de liberté qu’une véritable prison, à la différence près qu’il n’y a ni condamnation ni intervention judiciaire.”